
JÓNDÓRA
Envie de vous évader ? Je vous propose de plonger au coeur des mythes et légendes d’Islande. En partageant avec vous ma nouvelle « Légende d’Islande : Jóndóra ».
J’ai rédigé cette nouvelle lors de la parution de la revue Sillages d’Océanie 2020.
Je la mets aujourd’hui à disposition de vous lecteurs.
Bonne lecture !
Télécharger la nouvelle
Jóndóra quitta Rykjavik après l’été pour terminer son apprentissage loin des tumultes de la ville. Âgée de 16 ans, métisse à la longue chevelure blonde tressée, elle marchait, décidée depuis l’aube malgré le froid qui lui gelait les os. Elle appartenait à la lignée des Elfes Blancs et devait réussir un rite de la région de Borargardffjördur. Pour son initiation, elle devait découvrir Yggdrasil, l’arbre du monde, traverser la branche du royaume de Gimlé pour rencontrer la reine des Elfes Lumineux et obtenir le pouvoir des Lumières.
Gunnlöo, sa grand-mère, lui avait indiqué de faire route vers le sud là où se terraient les ombres les plus maléfiques de l’Islande. Chargée de son éducation depuis son plus jeune âge, elle lui parlait souvent sous forme de parabole, ce qui lui donnait alors un air plus mystérieux et énigmatique encore. Jóndóra aimait passer du temps avec son ainée car elle lui contait toutes les légendes de son peuple. Juste avant de partir, Gunnlöo lui avait pris les mains tendrement, posant ses yeux au plus profond des iris verts de sa petite- fille pour lui donner la force et le courage de réussir ce voyage sans qu’un seul mot ne soit prononcé.
Au cœur de la forêt, la respiration de Jondora se fit haletante et saccadée, la nuit glacée flottait tel un linceul et les branches des bouleaux pubescents vibraient dangereusement sous la brise qui grandissait, laissant apparaître des formes désarticulées tout autour d’elle. Jondora accéléra le pas au hasard de ses sens pour sortir de cette tanière dissonante où régnaient les créatures du Hulddufolk. Son esprit lui dictait de s’enfuir et de retourner vers sa maison, au cœur de la montagne où le feu brûlait patiemment, réchauffant chaque pierre de son âtre. Le visage de sa grand-mère lui apparût, ordonnant de ne pas s’arrêter et de s’enfoncer plus loin dans les profondeurs de la nuit. Elle écartait les branches basses pour passer, le chemin se faisait plus étroit et d’énormes rochers reposaient de part et d’autre laissant apparaître des visages sombres et inquiétants pareils à des géants stratifiés veillant sur ce lieu volcanique. Les pierres ternies par le temps murmuraient à chacun de ses pas et s’arrêtaient subitement dès lors qu’elle cherchait l’origine de ce bruissement. Même la forêt derrière elle semblait souffler, soulagée que rien ne soit arrivé sur son passage. L’atmosphère était lourde et les ombres virevoltaient en une danse macabre sous le faible éclairage de la lune. Jondora approchait de l’arbre du monde. Un son rauque brisa le silence, elle sursauta. Des pas se rapprochaient, ils venaient de la forêt. Elle entendait les branches des arbres craquer comme des os. Jondora serra la pierre de lune que sa grand-mère lui avait donnée et implora son aide. Elle se mit à courir le long des pierres saillantes pour s’éloigner des pas bruyants qui n’étaient plus qu’à quelques mètres. Elle buta sur l’une d’entre elle. Dans sa lourde chute, son front vint heurter violemment le sol. Le Puissant-Cerf-Dainn, gardien d’Yggdrasil arriva les narines fumantes sur Jondora et la renifla attentivement. Le sang coulait de son front. D’un seul coup, les rochers se mirent à vibrer dangereusement puis à bouger jusqu’à faire apparaître une forme imposante. Olg-Le-Géant, réveillé de son profond sommeil, se dressa sur toute sa hauteur pour les regarder.
« Puissant-Cerf-Dainn ! L’interpella-t-il d’une voix d’outre-tombe. Laisse cette humaine poursuivre son chemin et rejoindre l’arbre du monde, dit-il tout en posant son énorme bras devant Jondora qui assommée paraissait à présent minuscule. »
La terre se mit à trembler autour d’eux. « Silence Olg-Le-Géant ! répondit le Puissant-Cerf- Dainn de sa voix autoritaire. Le géant eut un mouvement de recul. Elle n’aurait pas dû s’enfuir mais faire face. Ce qui l’attend à l’arbre du monde sera bien plus difficile, elle ne pourra pas retrouver le chemin de son peuple si elle échoue ! Elle n’est pas prête martela le Puissant-Cerf-Dainn d’un mouvement de tête ! »
« Si, elle l’est, je le sens ! Son cœur vibre à l’unisson de la mère universelle. Gunnlöo ne nous l’aurait pas envoyée, la magie coule dans ses veines ! Nous avons besoin d’elle, c’est notre dernière chance et tu le sais Puissant-Cerf-Dainn. »
« Tu as peut-être raison. Ou alors, il est temps d’éveiller sa conscience car Rastatok-l’écureuil a dû alerter le Terrible-Nidhogg et je sais que les Elfes Noires sont déjà sur le pied de guerre pour ensorceler Jondora. Donnes-moi une de tes pierres pour lui délivrer la force d’Olg-Le-Géant, dit-il en le saluant respectueusement. »
Le Puissant-Cerf-Dainn inclina la tête et la patte avant droite sur le sol. Une larme dorée coula doucement le long de ses immenses cornes et tomba sur la pierre posée au milieu du front de Jondora. Les gardiens avaient fait don de la force minérale et de la puissance animale dans sa quête vers Yggdrasil. Elle se réveilla soudainement, le silence régnait sur les pierres glacées, le vent était tombé, elle sentit une énergie nouvelle circuler dans tout son corps. Elle glissa le talisman dans sa poche, se leva et fixa ses protecteurs d’un regard bienveillant tout en inclinant sa tête respectueusement pour les remercier. Elle reprit sa marche dans la forêt. Le Puissant-Cerf-Dainn et Olg-Le-Géant voyaient s’éloigner Jondora, le sort des Lumières était maintenant entre ses mains.
Elle était parvenue dans une clairière circulaire, seiche et rocailleuse, d’énormes galets posés à même le sol formaient un tombeau naturel des anciens temps. Elle s’arrêta à la lisière, se concentra pour voir ce qui n’était pas visible et ressentit à nouveau une énergie profonde. Yggdrasil se tenait devant elle, gigantesque et majestueux. Ses trois racines principales s’enfonçaient profondément dans la terre, Son tronc se dressait là, démesuré, ses branches disparaissaient dans l’infini pour retomber mêlant la grâce du saule pleureur et la force du chêne. Des millions de lucioles illuminaient l’arbre-du-monde dessinant de fins filaments argentés dans leurs vols angéliques. Une douce vibration accompagnait cette danse universelle où les mondes inconnus se rejoignaient au cœur d’Yggdrasil. Subjuguée par cette vision magnifique, Jondora ne remarqua pas les ondulations grises et noires dont le sifflement trahissait le caractère diabolique. Devant elle se tenait le Terrible- Nidhogg, une tête effrayante, projetant par de ses longues dents pointues son venin à chaque parole prononcée. Il ordonnait à ses congénères qu’on lui ramène cette proie des Lumières. Ils étaient des milliers à l’entourer, elle ne voyait déjà plus ses bottes. Jondora avançait pourtant sans peur, sans se soucier de ce qui se passait autour d’elle. Yggdrasil veillait sur elle. Elle s’arrêta face à Nidhogg qui s’éleva doucement la dépassant de plusieurs mètres pour lui montrer sa supériorité. Il ondula doucement vers le bas et sa langue fourchue effleura le visage de Jóndóra. Elle le fixait avec douceur.
« Laisses-moi passer Terrible-Nidhogg, je n’ai pas peur de toi dit-elle en posant son regard avec force et puissance. »
« Qui es-tu pour me donner des ordres misérables répondit-il avec colère. Tu ne passeras pas ! Je te livrerai à mes enfants qui attendent un signe pour te dévorer, agenouilles-toi hurla Nidhogg ! Reconnais mon autorité et je te laisserai avancer vers Yggdrasil. »
« Je suis Jondora et ta langue fourchue ne
m’impressionne pas ! Tu n’es que lâcheté et traîtrise en ce
bas monde. Tu es l’égo des humains, une illusion sournoise
œuvrant à salir notre Esprit dit-elle en ouvrant ses mains
pour laisser s’échapper une énergie étincelante. »
« Tuez-là ordonna le Terrible-Nidhogg ! »
Les serpents qui ondulaient nerveusement et se
précipitèrent vers Jondora. À ce moment-là, un cri perçant
se fit entendre, Vedffolnir descendait à la vitesse de la
lumière déployant ses gigantesques ailes à un mètre du sol,
il provoqua un violent tourbillon et projeta les serpents à
plusieurs mètres. Même le Terrible-Nidhogg recula devant
cette puissance flamboyante. Le Faucon-Vedffolnir, Maître-
du-Vent se tenait au-dessus de Jondora et l’incitait à
avancer sous sa protection. L’œil aiguisé, il se jeta sur le
Terrible-Nidhogg, une violente bataille s’engagea. L’obstacle
éloigné, Jondora commença à escalader Yggdrasil pour se
rendre sur la branche de Gimlé, le royaume des Elfes
Lumineux. Elle avait vaincu en surmontant ses peurs,
l`initiation des Lumières avait commencée.
Elle se trouvait à mi-hauteur d’Yggdrasil. Sa progression était lente et difficile, elle évitait de regarder vers le bas. Les serpents, à peine visibles, s’enfuyaient devant la guerre des forces du mal et du bien qui combattaient au pied de l’arbre du monde.
Elle franchissait un nouveau palier quand elle entendit une douce musique, le Prince des Elfes-Sombres, confortablement assis, jouait de la harpe en chantant une homélie à la beauté et à la jeunesse éternelle. Il la regardait de ses yeux noirs, elle était envoutée par son chant. Sa musique pénétrait les portes de son cœur et une douce vibration emportait son âme dans les tréfonds de l’amour. Sa prestance, son élégance et son charisme transportait Jondora. Elle se trouvait paralysée devant tant de beauté ! Elle n’avait qu’un pas à faire pour franchir le portail des Elfes et être emportée à jamais. Le Prince se leva délicatement tout en continuant sa musique pour se rapprocher, flottant au-dessus du sol tel un papillon sauvage, il la dépassait de deux têtes. Jondora semblait glisser dans les profondeurs des abîmes. Alertée par le lien invisible qui l’unissait à sa petite fille. Gunnlöo, la grand-mère, se mit à chanter l’incantation des gardiennes. Elle espérait ainsi briser le sort en attirant la conscience de Jondora qui, talon levé, s’avançait déjà vers le piège démoniaque du Prince des Elfes-Sombres.
Une clochette cristalline vint de la branche supérieure
interrompre peu à peu cette hypnotique mélodie. C`était
Rastatok-l’Ecureuil qui s’évertuait à briguer son attention.
Elle leva sensiblement la tête et sortit de sa léthargie.
« Prince des Elfes-Sombres, dit-elle. Merci pour cette
douce musique et ce chant magnifique mais il ne
m’appartient pas de franchir votre porte. Votre apparence
n’est pas en harmonie avec votre cœur. Il n’est que le reflet
des sombres pensées qui vous animent au plus profonds de
votre âme. Je passerai mon chemin dans la paix et la joie
poursuivit-elle tout en se retournant vers le cœur de l’arbre
du monde.
« Jóndóra l’appela-t-il d’une voix mielleuse en lui tendant sa grande et belle main gauche où un rubis brillait à son index. Viens, tu ne dois pas être effrayée par notre peuple. Tu seras accueillie comme la future reine des Elfes- Sombres. Je te couvrirai de toutes les richesses que tu désires et tu seras libre de voyager dans tous les mondes, belle Jondora. »
« Je suis honorée par ta proposition, Prince des Elfes- Sombres, mais je ne céderai pas à la tentation répondit-elle en s’inclinant respectueusement tout en lui tournant les talons. »
Elle passa devant l’Ecureil-Rastatok, le messager, le remercia de l’avoir sauvée des griffes des Elfes-Sombres et avança difficilement jusqu’au sommet pour atteindre la branche de Gimlé. La reine des Elfes-Lumineux se tenait là, devant elle et lui ouvrit les bras pour l’accueillir comme sa propre fille. Jóndóra se trouvait dans un magnifique palais où des couleurs scintillaient tout autour d’elles passant du rouge au vert, à l`azur, à l’orange dans une harmonie parfaite. Elles étaient assises, un fluide circulait et des centaines de compagnons elfiques encourageaient Jondora à profiter de cet instant. Heimdalle-Gardien-d’Asgard soufflait abondamment dans sa corne pour annoncer aux Dieux cette bonne nouvelle. La reine des Elfes-Lumineux posa sa fine main intensément sur son cœur, inscrivant dans son être tout entier le pouvoir des Lumières. Jondora ferma les yeux et fût emportée dans un arc-en-ciel tourbillonnant qui lui fit perdre la notion de temps et d’espace.
Elle se réveilla en sursaut dans son lit, la sueur dégoulinait
de son front. Le feu brûlait toujours ardemment dans sa
chaumière de pierre. Sept femmes dont sa grand-mère
Gunlöo étaient assises en contrebas formant un cercle. Elles
psalmodiaient des chants inconnus et l’invitèrent à les
rejoindre. Tout en se levant, elle réalisa que ces
merveilleuses rencontres n’avaient été que le rêve de sa
méditation initiatique. Elle en fut très déçue. Désabusée, elle
marcha d’un pas lent, et glissa la main dans sa poche par
dépit. Ses doigts trouvèrent une petite chose lisse et froide.
La petite pierre, le talisman se trouvait là, au fond. Une
énergie la transforma immédiatement, elle n’avait donc pas
rêvé…. Le visage de la Reine des Elfes-Lumineux lui souriait
et l’encourageait à croire en en son pouvoir.
Elle se plaça à côté de sa grand-mère Gunlöo et des autres
femmes, une nouvelle étincelle brillait dans ses iris vert.
Elles joignirent leurs mains dans une grave vibration
montant crescendo de leurs voix à l`unisson. Au loin, La
reine des Elfes-Lumineux, le Puissant-Cerf-Dainn, Olg-le-
Géant, L’Ecureuil-Rastatok, le Faucon-Vedffolnir et
Heimdalle dansaient allègrement au pied d’Yggdrasil l’arbre
du monde, les lucioles sifflaient de joie, le jour était enfin
arrivé !
Pour la première fois et sous le scintillement de l’étoile du Nord, une aurore boréale apparût, puis deux, puis trois, illuminant le ciel sous un chant salvateur. Jóndóra avait ouvert son cœur et libéré le pouvoir des Lumières. Les gardiennes des huit régions veillaient maintenant sur l’Islande.
Telle est la légende du Cercle Polaire.
À propos de l’auteur
Yannick Jan est un auteur calédonien issu de la nouvelle génération d’écrivains.
Il est le lauréat de la résidence d’écriture 2021 de la Province Sud.
La sortie de son roman « Liens de Sang » est attendu pour la fin d’année 2021.
BIBLIOGRAPHIE
Avant que la nuit tombe
Œuvre collective, poésie – Edition herbier de feu, 1999
L’écrivain
Roman psychologique – Edition jardin secret, 2016
Sillage 2020
Œuvre collective – Légende islandaise, Le cercle polaire.
Liens de sang
Roman espionnage -Prévision Sortie fin 2021
Participation au SILO (salon du livre de la Nouvelle Calédonie 2017, 2020.
Sera présent au SILO à Poindimié en 2021.
Sélectionné au salon de livre de Ouessant, 2017 pour le roman L’écrivain
Lauréat de la résidence d’écriture au château Hagen 2020-2021


GARE… AU GORILLE !
Six heures du mat’ ! Vanne – Paris, c’est long ! Contente d’arriver enfin gare Montparnasse. Encore 40 minutes de taxi. Et nid douillet retrouvé. Me ressourcer à Auray chez mes parents a été fantastique. Après des années sans y aller. Se réchauffer au soleil estival, errer sur le port de Saint Goustan, à l’affût d’une bonne douzaine d’huîtres, marcher et pêcher des crustacés lors des grandes marées basses. Et surtout ne plus penser au boulot, quel pied ! Les portes s’ouvrent, le quai de la gare est bondé. Finies les vacances. Hâte quand même de retrouver tous mes collègues et mon équipe au top, soudée. Prolonger cette complicité avec les apéros et me régaler des débriefs sur la rive droite. Ma bouille bronzée et reposée va faire fureur. Aïe !! Grimace de douleur en descendant sur le quai. Ma hanche fait des siennes. Quarante ans que ça dure. Restée trop longtemps assise. Vais claudiquer un peu plus que d’habitude.
Musique entêtante du jingle SNCF. Crispant ! Une heure à poireauter au milieu des blaireaux ! Train en retard comme d’hab’. D’accord, trente mille euros payable en deux fois pour ce contrat mérite un poil de patience. Où est cette flique blonde que je puisse aller miser un bon paquet à Chantilly ? Vais jouer le 5 le 20. Et le 8 ! Non ! Le 8 avance aussi vite qu’un âne ! Le 18 plutôt ! Je me sens en veine. Sans oublier un peu de champ’ avant la course… Allez, rectifie le profil de cette commandante de la BRI et à toi la belle vie. Ah ! La voilà ! Bien mieux que sur la photo un peu floue à mon goût… Elle s’avance dans ma direction et… elle boîte ! C’est définitivement elle. Bon, filature discrète en pro que tu es et t’auras cinq minutes pour trucider ce poulet. Une poulette en l’occurrence. Assure bien ton poignard camouflé dans ta revue et laisse-lui une vingtaine de mètres d’avance…
Putain de hanche ! Trop mal aujourd’hui… si je tenais l’abruti qui m’a accouchée au forceps… Râle pas, doit être mort et enterré. Allez, une bonne séance de yoga en arrivant, m’étirer et me détendre, y a que ça de vrai. Trop de gens partout à Paris ! J’étais mieux au bord de mer. Ah ! Le kiosque ! Acheter TIRMAG et me remettre à mon hobby. Le tir à dix mètres commençait à me manquer. À propos de cible, y a un type qui me mate… doute de rien avec son costard de petit fonctionnaire. Fais pas la difficile, l’est pas si moche pour une reprise… Faut dire qu’avec ma patte folle, les cinq a sept ne se bousculent pas. Pas une mauvaise idée pour clore mes dernières heures de congés… Bon, calme-toi quand même ! Je pique à droite. Lui aussi. Finalement, question étirements y a pas que le yoga !
Grouille ma jolie ! Prends ton putain de magazine ! T’auras même pas le temps de le feuilleter… Rosserini, le roi de la coke sur Paris Nord a été un trop poisson pour toi, petite fliquette. T’aurais pas dû expédier son neveu ad patres avec deux balles dans le buffet. Le tonton a pas digéré que tu flingues sa relève lors d’une saisie. En plus, avec ce flag mortel, tu l’as privé de 300 kilos de colombienne. Gros manque à gagner. Sauf pour moi que le tonton paye grassement pour se venger. Hâlée la cible quand même… Z’ont des lampes à bronzer à la Brigade de Recherches et d’Intervention ? En tout cas, ce soir, au rayon frigo de la morgue, tu vas perdre des couleurs ma cocotte.
Sympa le soleil ! Bon pour le moral ! La tour toujours à la même place. Les klaxons et la queue aux taxis idem. Rien n’a bougé. Gaffe à l’escalier, ma chérie ! Manquerait plus de te vautrer en bas des marches, ta robe à la taille. Pèse deux tonnes ta valise. Les confitures de maman, of course !
Tiens ! Toujours à tes basques le petit costard-cravate… Mérite une récompense. Du coup, laisses-toi doubler par quelques pressés. Ça y est, plus que deux clampins entre nous deux. Valse des taxis, coffres et portes qui claquent et… le reflet du dragueur sur une vitre teintée. Le sourire du vainqueur aux lèvres. Plutôt attirant finalement. Te retournes pas trop tôt ma belle ! C’est dans la poche…
Ralentis mon grand ! Te fais pas repérer par la cible. Coup d’œil à 9H00. Impecc’ ton motard relais en place. Petit signe… il répond. Pied déjà sur le Kick. Bon, pas d’obstacles en vue… Action ! Mais… elle m’attend cette… ? J’y crois pas, elle me prend pour un plan Q. Trop fastoche, elle te mâche le travail. Allez ! Balance ton sourire à quarante-cinq dents. Bingo ! Elle te fait face… carrément offerte ! Ma lame dans le vif du sujet. Foie perforé. Fouraillage profond en vrille. Hémorragie interne assurée. Peu de sang sur sa robe. Soulage sa chute du bon côté. Les pékins autour ne voient qu’un malaise. Adios ma jolie !
Que… ?? Douleur… aigue… ma hanche… encore ! Tour devient floue… Roméo disparu… Klaxons faibles… visages énormes… penchés sur moi… entends plus rien… froid intense… noir !
Good job ! Expéditif ! Un vrai pro ! Lame repliée dans journal. Pas de cri, peu de sang. Ni vu ni connu. Appel SAMU simulé. Pour la galerie. S’éloigner vite ! Cap sur la 600 cm3. Moteur déjà en marche. Casque sur tête. Tape sur l’épaule. Cocher démarre. On décolle. Contrat rempli ! Commanditaire aux anges. Heureusement… Don Rosserini pas le genre à pardonner aux losers. Vindicatif le Sicilien !
Pas envie de sortir de ce train. Profiter encore de ce répit. Trop de monde sur le quai. Épuisant le rencard au commissariat de Vannes. Laisse le train se vider. Rallumer Smartphone. En profiter pour lire tes SMS. Tiens, trois messages à la suite de mon binôme. Classés URGENT en plus. Direct au dernier :
Contrat sur ta tête. Homme de main de Rosserini à tes trousses. T’es où !!!
Alerte rouge donc ! Pas une sinécure la BRI. Réponse au binôme. Suis arrivée à Montparnasse. Quai 3. Demande protection. Me lève. Bagage récupéré. Mon 38 en place. Cran de sécurité ôté. Coup d’œil rapide à la porte. Quai presque désert. Lente descente des marches. Aux aguets. Aie ! Ma hanche ! Putain de balle reçue en début de carrière ! Douleur chronique qui se réveille au moindre stress. Vais boitiller pendant une heure. Bien ma chance ! Une sirène insistante au loin. Déjà ? Sont rapides les collègues. Mais non, t’es conne. Pas la même tonalité que nous. C’est un fourgon du SAMU qui débarque. Encore un ou une qui va passer un sale moment…

RÉFLEXIONS
Assis, regard fixe, mains moites, bouche sèche. Les questions fusent, je bégaye. Tortillements,
tics nerveux, sourire crispé, doute. C’est râpé !
Je me reprends, souffle et reformule d’autres réponses. Mon regard va de l’une à l’autre des
trois dames. Elles chuchotent entre elles. Je suis sur la sellette. Nouveau tir de barrage, je
déglutis avec difficulté. Je ne sais pas… Dis-je dans un murmure.
Ce coup-ci, c’est mort ! Et puis non ! Je suis le meilleur ! Elles vont voir. Je réattaque sur mon
potentiel technique. Une opine du chef, ma confiance remonte. Du coup j’en fais trop, part
dans le lyrique et rebelote c’est la cata ! Mon dossier est refermé, on vous écrira… Figé
devant un miroir dans le hall de la compagnie, je récapitule tout du début.
Encore un quart d’heure avant l’entretien !



SUR UN FIL
J’étais là. Mes pieds suspendus au bord de la falaise. Le vide. Jamais je n’avais imaginé en arriver là. Moi si bon vivant. Les voyages. Les femmes. Pourtant, je ne manquais de rien, j’étais plutôt friqué, j’avais réussi avec ma boîte d’import. Mon appart au XVI ieme était à l’opposé de mon enfance à Bobigny. J’étais fier ! À 30 ans, la vie devenait une autoroute à quatre voies. Puis, cette blonde au léger déhanché m’ensorcela.
J’étais prêt à tout !
J’étais aux abois. La peur tordait mon estomac. Le regard loin.
Tout était fini. Je sautais dans le vide. Hurlements !
Le retour d’élastique me ramena à la vie.
J’étais sain et sauf.
Pour elle.

OMBRE ET LUMIÈRE
18H00, journée éreintante. Retour à l’appart. Me sens ridicule, moche devant mon miroir. Yeux larmoyants, je soupire en visualisant la réunion au bureau. Une heure avant. Pas été du tout à la hauteur. Y avait qu’à voir la moue méprisante de mon supérieur, Roland. Toujours aussi hautain, son sourire ironique parlait pour lui. Pas du tout à ma place. Je dois changer de service…
Douche, pyjama. Sortie avec les potes annulée. Moral à zéro. Insomnie en vue. Gamberge en boucle tel un disque rayé. 21H30, vibreur et SMS. Putain, mon boss… Angoissé, je lis : Pas eu le temps de te voir après la réunion, en tout cas, super boulot ! Continue !
Assis dans mon lit, suis comme un con. Soirée niquée pour rien.Toi et tes complexes à la con !



PENSE… BÊTE !
Souvent proche de vous, il erre à la recherche d’une proie facile. Il a besoin d’asservir son prochain afin de compenser un manque d’affection de l’enfance, une vision à court terme, une absence de bagages culturels. Des manques qui empirent au fil des ans. Plus vif, ce parasite grignotant son environnement, devance tout le monde et provoque une hystérie collective. Dans ce vivier à son écoute, il rencontre, fort de ses certitudes et de ses ronds-de-jambes, de plus en plus d’adeptes. À sa merci. Ce troupeau de complotistes rassemblé peut envahir le monde. Jusqu’à le diriger. Ivres de pouvoirs, ils ne supportent plus la contradiction.
L’avez-vous déjà croisé ? Évidemment, les cons pensent… plus vite que les autres !

UNE BOUTEILLE À LA MER
– T’es juste bonne à récurer les chiottes ! éructe-t-il la main levée.
Terrorisée, elle se cache le visage. Le dos zébré, elle pleure mais reste, subit. Partir ? S’enfuir loin ? Je n’y arriverai pas, suis trop nulle…
Lui, chaque jour plus impitoyable. Veut toujours faire mal. Se sentir puissant. Dans cet appartement cloisonné, aux douces tapisseries florales, aux boiseries frottées. Paradoxalement cosy…
Le lendemain, rebelote. Même supplice. Pour anesthésier son esprit. Ancrer en elle la violence. La transformer en bête humaine. À son image.
J’ai quatorze ans. Et, malgré tout, mon père je l’aime…

